Some Great Reward (Septembre 1984)
Après un Speak & Spell inaugural (1981), un A Broken Frame forcément transitoire puisque marqué par le départ de Vince Clarke (leader parti former Yazoo avec Alison Moyet, puis Erasure avec Andy Bell) et injustement décrié (1982), Depeche Mode avait commencé à trouver une certaine stabilité avec l’arrivée d’Alan Wilder sur Construction Time Again l’année suivante. Martin Gore a pris de l’assurance en tant que compositeur et ce quatrième album se situe au-dessus du lot.
Pour la première fois, en effet, le quatuor de Basildon, en Grande-Bretagne, propose un disque sans titre faible. Au moins la moitié, dont Master and Servants, Somebody ou People Are People sont passés à la postérité.
Mais il serait dommage de passer sous silence la ballade glaciale It Doesn’t Matter, Stories of Old ou If You Want signé Wilder.
Black Celebration (Mars 1986)
Les deux singles parus après le disque précédent ne laissaient guère planer le doute quant à la qualité de l’opus à venir.
Le génial Shake the Disease et It’s Called a Heart laissaient apparaître le groupe sous une facette beaucoup plus industrielle. Black Celebration va complètement dans ce sens (New Dress, Stripped).
Plus sombre que ses prédécesseurs (World Full of Nothing), le cinquième album des Britanniques explore les zones d’ombres (Fly on the Windscreen – Final) d’une pop à laquelle ils offrent des perles lumineuses comme A Question of Lust ou Sometimes en gage de bonne foi.
Sur le plan individuel, Martin Gore confirme son statut de compositeur inspiré (A Question of Time), Alan Wilder s’impose comme un arrangeur de premier ordre quand Dave Gahan apporte, avec son chant, la chaleur qui fait de Depeche Mode un groupe majeur.
Music for the Masses (Septembre 1987)
Le meilleur ? Pas encore mais on s’en approche sûrement. Dès les premières secondes de Never Let Me Down Again, on touche du doigt la douce sève qui coule dans le sillon d’une galette enregistrée en France, dans les studios Guillaume Tell de Suresnes.
Music for the Masses est un bloc de béton sculpté par quatre magiciens de la mélodie et du son. Tout ce qui était bon jusque-là dans la musique du groupe est ici présent.
Tout ce qui le sera par la suite également. La froideur (Sacred, To Have and To Hold), la noirceur (Little 15, Pimpf), les gimmicks indus (Nothing, Behind the Wheel, The Things You Said)...
Le tout au service de mélodies imparables (l’envoûtant I Want You Now) et de refrains immortels (Strangelove).
En 1987, Depeche Mode s’installe confortablement au sommet de son art. Trois ans et un double live phénoménal (101) plus tard, on l’y retrouve encore.
Violator (Mars 1990)
Mon amie la rose... Tous les disques précités constituent une formidable porte d’entrée dans l’univers de Depeche Mode mais s’il devait n ’en rester qu’un, ce serait cette machine de guerre sonore au nom volontairement brutal (une manière de titiller les groupes de metal et leurs albums au titre souvent agressifs).
Violator reste, à ce jour, le meilleur album du quatuor. Parce que Personal Jesus, aujourd’hui devenu un classique, a (agréablement) surpris à sa sortie avec ses relents bluesy.
Parce que l’équilibre au sein du groupe n’a jamais semblé aussi parfait et que chaque rôle est maîtrisé à merveille.
Parce que les compositions sont excellentes (World In My Eyes, Policy of Truth, Halo, les obscurs Waiting for the Night et Blue Dress) et qu’on apprécie le clin d’oeil à One of These Days de Pink Floyd sur Clean.
Parce qu’enfin, Enjoy the Silence est l’une des plus belles et plus touchantes chansons de ces 25 dernières années.
Même s’il en a encore sous la semelle, le groupe aura du mal à atteindre une telle quintessence à l’avenir.
Ultra (Avril 1997)
Songs of Faith and Devotion (1993) était bien consistant. Il était parfait dans son rôle de successeur de Violator (une performance !) et aurait eu une place de choix dans cette sélection si nous n’avions pas préféré mettre en avant Ultra.
Ce neuvième album est le premier sans Alan Wilder depuis son arrivée en 1983.
Lassé de devoir imposer ses idées aux forceps, le musicien a préféré mettre les voiles. Sans lui, Depeche Mode ne sera plus jamais vraiment le même. Ultra est donc le fruit du travail d’un trio privé de son maître d’oeuvre. Heureusement, l’architecte Martin Gore est bien présent et en grande forme artistique.
C’est un disque difficile d’accès. Les mélodies ne s’imposent pas comme ça pouvait être le cas sur Music for the Masses, par exemple. Mais c’est un album qui fourmille d’idées (Useless, le torturé Barrel of a Gun ou Jazz Thieves, véritable trip tribal) et qui offre de grands moments à qui sait prendre le temps de les apprivoiser (Sister of Night). En rock et trip-hop, le groupe repousse quelques unes de ses limites sonores. Pour le meilleur.
Depeche Mode : le silence est d'or
Article de Eric BUGGEA sur Corse-Matin: